Comme à ton habitude tu t'assieds sur ce banc, à vingt heures trente-quatre, ou 20:34. Bonsoir au fait, oui, comme à toutes les fins de journée je me trouve là pas très loin. Il y a toujours la même conne qui mange un cône à la vanille avec des copeaux de chocolat mais juste ce qu'il faut, qu'elle dit au glacier. Tant de choses préparées à l'avance, un peu comme une horloge qui sonne treize coups à une heure de l'après-midi. Le spleen m'attrape par derrière et tu te tates la main un peu plus violemment comme ça. Une situation unique mais pourtant répétée inlassablement jour après jour, jamais ratée et nous de nous demander quand la pluie va s'arrêter de tomber ou quand on va pouvoir enfin sortir nos lunettes de soleil, quand la chaleur va se faire tellement lourde qu'on se dira que ce banc est parfaitement bien placé, à l'ombre du marronier, quand l'orage va enfin nous délivrer de cette lourde moiteur désagréable. Oui, je ne suis qu'à trois mètres sur le banc d'à côté mais je sais très exactement à quoi tu réfléchis, tu es mon moi en mâle, quelques années de plus, deux j'aime à le croire, et ces yeux, cette bouche et ce nez, tout ça ça ne peut être que moi, un grand moi. Mais enfin ce n'est même pas désagréable. Cinq minutes à peine juste assez pour reconnaitre chacun de tes mouvements et me les mettre en mémoire. Te voir essuyer d'abord ta place habituelle et puis y poser doucement ton grand corps un peu fatigué mais toujours vaillant, sortir tes écouteurs et les placer méticuleusement sur tes oreilles, et enfin fermer les yeux et respirer à pleins poumons l'air qui change en fonction des saisons. Rituel jamais ébranlé jusqu'à présent. Je ne sais jamais ce que je fais pendant ce moment privilégié, je suis complètement absorbée par tant de poésie, souvent je récite la chorégraphie dans la tête en ouvrant les yeux de temps en temps pour vérifier que je suis dans le bon tempo. Je me récite deux fois de suite la chanson qui dure deux minutes et quarante cinq secondes. J'arrive à tout en même temps, c'est un moment divin, c'est quand tu te dis que les secondes passent à une allure d'escargot, mais non, t'en as pas marre, c'est tellement bien. Je devine les airs de piano qui se jouent dans ta tête, la guitare le violon et la basse, un peu de batterie pour marquer la cadance. Tu n'écoutes que des chansons calmes sinon tu bougerais les pieds, et, brusquement, tu te lèves comme si tu avais oublié quelque chose. Comme si tu avais oublié de vivre. Mais bon sang ça me surprend toujours, jamais je t'ai dit au revoir. Et j'aimerais ne jamais te dire au revoir.
Titre : Renaud - Mistral Gagnant
c'est une si belle description de l'amour.
de la poésie.
tes mots sont des couteaux qui me font vasciller.
merci pour ces émotions que j'éprouve en te lisant.
<3