Je m'asseillais à ses côtés elle était morte mais vivante si belle encore pleine de vie ses joues étaient rouges commes les coquelicots dans les champs et elle me faisait penser à ces champs que j'avais parcouru en courant avec elle cette vie gâchée par une mauvaise passade un mauvais passage un pont mal traversé un suicide qui n'arrive pas à sa fin et qui laisse un goût amer comme les oranges que tu me faisais avaler alors que je détestais ça et que tu le savais.
Tu n'as fait que me tester jusqu'à me quitter pour de bon comme si le temps pour voir si tu m'aimais avait duré pendant si longtemps ce n'était qu'un mensonge d'une vingtaine d'années et j'y ai cru bien sûr mais les femmes font souffrir les hommes c'est connu et de toute façon une lionne comme toi ne pouvais s'attacher à moi et pourtant.
Je t'aurais offert tout ce dont tu rêvais je t'aurais décroché la Lune je t'aurais construit toute une vie et je t'aurais aimé comme une princesse je t'aurais chéri embrassé aimé encore et aimé aimé jusqu'à l'usure de mon coeur mais j'aurais tenu bon jusqu'à.
Mais non tu n'y croyais plus tu es restée parce qu'il n'y avait pas de raisons que tu t'en ailles et pourtant je croyais que ça tiendrait jusqu'à ce que je sois vieux et plein de poussière recouvert de tes cendres mais.
Les autres croyaient à nos éclats de rire à nos clins d'oeil à tes sourires à mes faussettes à tes yeux pétillants et pourtant tu étais belle mais j'aurais du deviner que je ne l'étais pas assez pour toi et pourtant je devrais te détester d'aimer les gens comme ça et puis.
Nos enfants ont grandi se sont enfuis te laissant sans raisons de rester mais ne t'en donnant pas non plus pour partir s'abandonner à la routine ne plus partir en vacances regarder la télévision tricoter nourrir le chat sortir les poubelles vieillir acheter des cadeaux aux enfants faire des repas de famille vieillir regarder les photos des petits enfants en prendre un bon coup vieillir ne plus chanter comme avant vieillir vieillir encore et toujours et même.
Regretter le temps où on ne s'entendait pas au moins tu faisais attention à moi regarder l'heure passer sans toi maintenant et puis oui rester là à fixer l'horloge seconde et tic-tac-tic-tac jusqu'à devenir fou se faire embarquer dans une maison de retraite oublier le passé récent ne plus me rappeler de toi et pourtant je n'ai que vingt ans mais je vois tout ça si bien dans le futur et je n'ai déjà plus la force de te retenir tu t'enfuiras je sais tu t'enfuiras non je m'enfuirai d'abord avec mon baluchon comme si tu me jettais dans la rue j'irai voir des vieilles mamies qui auront pitié de moi mais.
Je reviendrai on s'aimera à nouveau enfin je t'aimerai je t'aimerai toujours et toi tu feras semblant de ranimer la flamme tu sais si bien faire semblant pourtant je te suivrai partout jusque.
Je ne t'aime plus, mon amour.
Titre : Jacques Brel - Ne me quitte pas