J'allumais mon baladeur. La musique s'infiltrait en moi, sortait par mes pores, je la respirai comme une grenouille respire. Le bruit m'empêchait d'écrire. Le cliquetis des touches sur le clavier flirtait avec les bruits de discussion des gens autour de moi. Je me réfugiais ici tous les jours, et je me nourrissais de radiohead, ne commandais qu'une bouteille d'eau pétillante et sortait des feuilles et mon stylo. La chaleur de l'intérieur contrastait vraiment avec la température extérieure, de la buée en couche épaisse recouvrait les vitres et les enfants y dessinaient des bonhommes, les jeunes des cœurs, les vieux des déceptions. Je me disais souvent que les vitres embuées étaient la réflexion exacte d'un état d'esprit. J'étais l'écrivaine, celle que tout le monde envie, qui ne gagne pas d'argent mais qui vit de mots, celles qui décrivait un corbeau dans les moindres détails, un beau noir de jais, des plumes longues et brillantes, qui se pavanait dans les feuillages et qui bèquetait quelques baies. Mes feuilles s'entassaient et pourtant il me manquait la dose d'un sentiment, quel qu'il fut, pour renforcer ma rage d'écrire. La colère, l'amour, la tristesse, tout m'aurait convenu, mais l'impatience et l'ennui ne m'apportaient jamais d'inspiration quelconque.
Radiohead sonnait donc, et sa seule voix me laissait de marbre, je m'embarquais dans les délires musicaux, je ne bougeais plus, absorbée par une musique sortie de l'ordinaire, un son infect tellement qu'il était bon, des chansons inécoutables, rageantes parce que merveilleuses, une voix infecte, parfaite, sensuelle et vraie, un album, une musique, des frissons rien que d'en parler et mon stylo qui ne décrivait que volutes et arabesques au gré des changements rythmiques.
Titre : Renan Luce - Les voisines